Nietzsche | Je méprise ton mépris ; et si tu m’avertis, — pourquoi ne t’es-tu pas averti toi-même ? / lorsqu’on ne peut plus aimer, il faut — passer !

Traduction française par Henri Albert

Texte allemand | Sources

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Mais en cet endroit, Zarathoustra interrompit le fou écumant et lui ferma la bouche.

« Te tairas-tu enfin ! s’écria Zarathoustra, il y a longtemps que ta parole et ton allure me dégoûtent !

Pourquoi as-tu vécu si longtemps au bord du marécage, te voilà, toi aussi, devenu grenouille et crapaud !

Ne coule-t-il pas maintenant dans tes propres veines, le sang des marécages, vicié et mousseux, car, toi aussi, tu sais maintenant coasser et blasphémer ?

Pourquoi n’es-tu pas allé dans la forêt ? Pourquoi n’as-tu pas labouré la terre ? La mer n’est-elle pas pleine de vertes îles ?

Je méprise ton mépris ; et si tu m’avertis, — pourquoi ne t’es-tu pas averti toi-même ?

C’est de l’amour seul que doit me venir le vol de mon mépris et de mon oiseau avertisseur : et non du marécage ! —

On t’appelle mon singe, fou écumant : mais je t’appelle mon porc grognant — ton grognement finira par me gâter mon éloge de la folie.

Qu’était-ce donc qui te fit grogner ainsi ? Personne ne te flattait assez : — c’est pourquoi tu t’es assis à côté de ces ordures, afin d’avoir des raisons pour grogner, — —afin d’avoir de nombreuses raisons de vengeance ! Car la vengeance, fou vaniteux, c’est toute ton écume, je t’ai bien deviné !

Mais ta parole de fou est nuisible pour moi, même lorsque tu as raison ! Et quand même la parole de Zarathoustra aurait mille fois raison : toi tu me ferais toujours tort avec ma parole ! »

(...)

Je te donne cependant cet enseignement en guise d’adieu, à toi fou : lorsqu’on ne peut plus aimer, il faut — passer ! —

***

Hier aber unterbrach Zarathustra den schäumenden Narren und hielt ihm den Mund zu.

„Höre endlich auf! rief Zarathustra, mich ekelt lange schon deiner Rede und deiner Art!

Warum wohntest du so lange am Sumpfe, dass du selber zum Frosch und zur Kröte werden musstest?

Fliesst dir nicht selber nun ein faulichtes schaumichtes Sumpf-Blut durch die Adern, dass du also quaken und lästern lerntest?

Warum giengst du nicht in den Wald? Oder pflügtest die Erde? Ist das Meer nicht voll von grünen Eilanden?

Ich verachte dein Verachten; und wenn du mich warntest, — warum warntest du dich nicht selber?

Aus der Liebe allein soll mir mein Verachten und mein warnender Vogel auffliegen: aber nicht aus dem Sumpfe! —

Man heisst dich meinen Affen, du schäumender Narr: aber ich heisse dich mein Grunze-Schwein, — durch Grunzen verdirbst du mir noch mein Lob der Narrheit.

Was war es denn, was dich zuerst grunzen machte? Dass Niemand dir genug geschmeichelt hat: — darum setztest du dich hin zu diesem Unrathe, dass du Grund hättest viel zu grunzen,—

— dass du Grund hättest zu vieler Rache! Rache nämlich, du eitler Narr, ist all dein Schäumen, ich errieth dich wohl!

Aber dein Narren-Wort thut mir Schaden, selbst, wo du Recht hast! Und wenn Zarathustra’s Wort sogar hundert Mal Recht hätte: du würdest mit meinem Wort immer — Unrecht thun!“

(...)

Diese Lehre aber gebe ich dir, du Narr, zum Abschiede: wo man nicht mehr lieben kann, da soll man — vorübergehn! —