Lou Andreas-Salomé, Nietzsche : tout son être était marqué du signe particulier qui distingue les solitaires. Cette solitude à la lumière de laquelle il importe de saisir toute la vie spirituelle de Nietzsche

"On se représentait difficilement cet homme au milieu d'une foule ; tout son être était marqué du signe particulier qui distingue les solitaires. Sa politesse extérieure n'était que l'envers de sa solitude intérieure - cette solitude à la lumière de laquelle il importe de saisir toute la vie spirituelle de Nietzsche, et qu'il ne cessa d'accroître autour de lui, comme pour s'obliger toujours plus, à tout tirer de lui-même. (...) Je ne sais plus maintenant si j'ai embrassé Nietzsche sur le Monte Sacro."

Lou Andreas-Salomé, Nietzsche

Louise von Salomé, ou Lioulia von Salomé, ou Louíza Gustavovna Salomé, Луиза Густавовна Саломе, dite Lou Andreas-Salomé, 1861 - 1937.

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"Je vous dois le plus beau rêve de ma vie".

Nietzsche à Lou Salomé

"... Die Erinnerung an unsere italienische Zeit kommt uns ... er sagte: »monte sacro, – den entzückendsten Traum meines Lebens danke ich Ihnen.« – Wir sind sehr heiter miteinander, wir lachen viel. ..."

Lou Salomé an Paul Rée über Nietzsche, Tautenburg 14 August 1882

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Nietzsche, lettre à Peter Gast, 13 juillet 1882 : "C'est comme la résonance d'une voix que j'aurais attendue, attendue depuis l'enfance. Ce poème est de mon amie Lou, dont vous n'aurez pas encore entendu parler. Lou est la fille d'un général russe et elle a vingt ans ; elle a l'esprit perçant d'un aigle et le courage d'un lion ; et pourtant, c'est une très féminine enfant qui peut-être n'aura pas longtemps à vivre. (...). En automne, nous émigrerons ensemble à Vienne. Elle est, de la manière la plus surprenante, précisément façonnée pour mon mode de pensée et de méditation.

Cher ami, vous nous ferez certainement à tous deux l'honneur d'écarter de nos rapports toute supposition d'amourette entre elle et moi. Nous sommes des amis, je  tiens pour sacrée cette jeune fille, cette confiance. Au demeurant elle a un caractère d'une fermeté incroyable et sait très exactement ce qu'elle veut - sans prendre l'avis du monde et sans se soucier du monde."

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Nietzsche, lettre à Peter Gast, 4 août 1882 : "Cher ami, un jour un oiseau a passé devant moi ; et moi, superstitieux comme tous les solitaires, comme tous les hommes qui se trouvent à un tournant de leur route, me figurai avoir vu un aigle. Or, tout le monde s'applique à me démontrer que je me trompe, et c'est devenu matière à un aimable clabaudage à travers l'Europe. Qui donc est le plus heureux - moi "le dupé" comme on dit, qui à cause du symbole que figurait cet oiseau, ai vécu tout un été dans le monde supérieur de l'espérance, - ou ceux-là, qui ne peuvent être dupés ? - Ainsi de suite. Amen. (...)

Vienne a presque disparu de l'horizon."

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Nietzsche, lettre à Peter Gast, 20 août 1882 : "Lou reste encore une semaine auprès de moi. C'est la plus intelligente de toutes les femmes. Tous les cinq jours, nous avons une petite scène de tragédie. Tout ce que je vous ai écrit sur elle est absurde, probablement aussi ce que je vous écris là."

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Extraits de Nietzsche, Lettres à Peter Gast, Christian Bourgeois Editeur, pages 311-312, 315-316, 318-319

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"Le monde ne te fera pas de cadeau, crois-moi. Si tu veux avoir une vie, vole-la." - Lou Andreas-Salomé

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Lou Andreas-Salomé

Prière à la Vie, 1882

 Certes, comme on aime un ami
 Je t’aime, vie énigmatique –
 Que tu m’aies fait exulter ou pleurer,
 Que tu m’aies apporté bonheur ou souffrance.

 Je t’aime avec toute ta cruauté,
 Et si tu dois m’anéantir,
 Je m’arracherai de tes bras
 Comme on s’arrache au sein d’un ami.

 De toutes mes forces je t’étreins!
 Que tes flammes me dévorent,
 Dans le feu du combat permets-moi
 De sonder plus loin ton mystère.

 Être, penser durant des millénaires!
 Enserre-moi dans tes deux bras :
 Si tu n’as plus de bonheur à m’offrir –
 Eh bien – il te reste tes tourments.

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 Gebet an das Leben

 Gewiß, so liebt ein Freund den Freund,
 Wie ich Dich liebe, Rätselleben –
 Ob ich in Dir gejauchzt, geweint,
 Ob Du mir Glück, ob Schmerz gegeben.

 Ich liebe Dich samt Deinem Harme;
 Und wenn Du mich vernichten mußt,
 Entreiße ich mich Deinem Arme
 Wie Freund sich reißt von Freundesbrust.

 Mit ganzer Kraft umfaß ich Dich!
 Laß Deine Flammen mich entzünden,
 Laß noch in Glut des Kampfes mich
 Dein Rätsel tiefer nur ergründen.

 Jahrtausende zu sein! zu denken!
 Schließ mich in beide Arme ein:
 Hast Du kein Glück mehr mir zu schenken
 Wohlan – noch hast Du Deine Pein.

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