Nietzsche | je ménage les vaniteux plus que les fiers. La vanité blessée n’est-elle pas mère de toutes les tragédies ? Mais où la fierté est blessée, croît quelque chose de meilleur qu’elle

Traduction française par Henri Albert

Texte allemand | Sources

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Cependant ceci est mon autre sagesse humaine : je ménage les vaniteux plus que les fiers.

La vanité blessée n’est-elle pas mère de toutes les tragédies ? Mais où la fierté est blessée, croît quelque chose de meilleur qu’elle.

Pour que la vie soit bonne à regarder il faut que son jeu soit bien joué : mais pour cela il faut de bons acteurs.

J’ai trouvé bons acteurs tous les vaniteux : ils jouent et veulent qu’on aime à les regarder, — tout leur esprit est dans cette volonté.

Ils se représentent, ils s’inventent ; auprès d’eux j’aime à regarder la vie, — ainsi se guérit la mélancolie.

C’est pourquoi je ménage les vaniteux, puisqu’ils sont les médecins de ma mélancolie, et puisqu’ils m’attachent à l’homme comme à un spectacle.

Et puis : qui mesure dans toute sa profondeur la modestie du vaniteux ! Je veux du bien au vaniteux et j’ai pitié de lui à cause de sa modestie.

C’est de vous qu’il veut apprendre la foi en soi-même ; il se nourrit de vos regards, c’est dans votre main qu’il cueille l’éloge.

Il aime à croire en vos mensonges, dès que vous mentez bien sur son compte : car au fond de son coeur il soupire : « Que suis-je ? »

Et si la vraie vertu est celle qui ne sait rien d’elle-même, eh bien ! le vaniteux ne sait rien de sa modestie ! —

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Diess aber ist meine andre Menschen-Klugheit: ich schone die Eitlen mehr als die Stolzen.

Ist nicht verletzte Eitelkeit die Mutter aller Trauerspiele? Wo aber Stolz verletzt wird, da wächst wohl etwas Besseres noch, als Stolz ist.

Damit das Leben gut anzuschaun sei, muss sein Spiel gut gespielt werden: dazu aber bedarf es guter Schauspieler.

Gute Schauspieler fand ich alle Eitlen: sie spielen und wollen, dass ihnen gern zugeschaut werde, — all ihr Geist ist bei diesem Willen.

Sie führen sich auf, sie erfinden sich; in ihrer Nähe liebe ich’s, dem Leben zuzuschaun, — es heilt von der Schwermuth.

Darum schone ich die Eitlen, weil sie mir Ärzte sind meiner Schwermuth und mich am Menschen fest halten als an einem Schauspiele.

Und dann: wer ermisst am Eitlen die ganze Tiefe seiner Bescheidenheit! Ich bin ihm gut und mitleidig ob seiner Bescheidenheit.

Von euch will er seinen Glauben an sich lernen; er nährt sich an euren Blicken, er frisst das Lob aus euren Händen.

Euren Lügen glaubt er noch, wenn ihr gut über ihn lügt: denn im Tiefsten seufzt sein Herz: „was bin ich!“

Und wenn das die rechte Tugend ist, die nicht um sich selber weiss: nun, der Eitle weiss nicht um seine Bescheidenheit! —