Nietzsche | on finit par ne plus vivre que ce que l’on a en soi | Et si dorénavant toutes les échelles te manquent, il faudra que tu saches grimper sur ta propre tête : comment voudrais-tu faire autrement pour monter plus haut ?

Traduction française par Henri Albert

Texte allemand | Sources

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Zarathoustra, tout en montant la montagne, songea en route aux nombreux voyages solitaires qu’il avait accomplis depuis sa jeunesse, et combien de montagnes, de crêtes et de sommets il avait déjà gravis.

Je suis un voyageur et un grimpeur de montagnes, dit-il à son coeur, je n’aime pas les plaines et il me semble que je ne puis pas rester tranquille longtemps.

Et quelle que soit ma destinée, quel que soit l’événement qui m’arrive, — ce sera toujours pour moi un voyage ou une ascension : on finit par ne plus vivre que ce que l’on a en soi.

Les temps sont passés où je pouvais m’attendre aux événements du hasard, et que m’adviendrait-il encore qui ne m’appartienne déjà ?

Il ne fait que me revenir, il est enfin de retour — mon propre moi, et voici toutes les parties de lui-même qui furent longtemps à l’étranger et dispersées parmi toutes les choses et tous les hasards.

Et je sais une chose encore : je suis maintenant devant mon dernier sommet et devant ce qui m’a été épargné le plus longtemps. Hélas ! il faut que je suive mon chemin le plus difficile ! Hélas ! j’ai commencé mon plus solitaire voyage !

Mais celui qui est de mon espèce n’échappe pas à une pareille heure, l’heure qui lui dit : « C’est maintenant seulement que tu suis ton chemin de la grandeur ! Le sommet et l’abîme se sont maintenant confondus !

Tu suis ton chemin de la grandeur : maintenant ce qui jusqu’à présent était ton dernier danger est devenu ton dernier asile !

Tu suis ton chemin de la grandeur : il faut maintenant que ce soit ton meilleur courage de n’avoir plus de chemins derrière toi !

Tu suis ton chemin de la grandeur : ici personne ne se glissera à ta suite ! Tes pas eux-mêmes ont effacé ton chemin derrière toi, et au-dessus de ton chemin il est écrit : Impossibilité.

Et si dorénavant toutes les échelles te manquent, il faudra que tu saches grimper sur ta propre tête : comment voudrais-tu faire autrement pour monter plus haut ?

Sur ta propre tête et au delà, par-dessus ton propre coeur ! Maintenant ta chose la plus douce va devenir la plus dure.

Chez celui qui s’est toujours beaucoup ménagé, l’excès de ménagement finit par devenir une maladie. Béni soit ce qui rend dur ! Je ne vante pas le pays où coulent le beurre et le miel !

Pour voir beaucoup de choses il faut apprendre à voir loin de soi : — cette dureté est nécessaire pour tous ceux qui gravissent les montagnes.

Mais celui qui cherche la connaissance avec des yeux indiscrets, comment saurait-il voir autre chose que les idées de premier plan !

Mais toi, ô Zarathoustra ! tu voulais apercevoir toutes les raisons et l’arrière-plan des choses : il te faut donc passer sur toi-même pour monter — au delà, plus haut, jusqu’à ce que tes étoiles elles-mêmes soient au-dessous de toi !

Oui ! Regarder en bas sur moi-même et sur mes étoiles : ceci seul serait pour moi le sommet, ceci demeure pour moi le dernier sommet à gravir ! —

Ainsi se parlait à lui-même Zarathoustra, tandis qu’il montait, consolant son coeur avec de dures maximes : car il avait le coeur plus blessé que jamais. Et lorsqu’il arriva sur la hauteur de la crête, il vit l’autre mer qui était étendue devant lui : alors il demeura immobile et il garda longtemps le silence. Mais à cette hauteur la nuit était froide et claire et étoilée.

Je reconnais mon sort, dit-il enfin avec tristesse. Allons ! je suis prêt. Ma dernière solitude vient de commencer.

***

Als nun Zarathustra so den Berg hinanstieg, gedachte er unterwegs des vielen einsamen Wanderns von Jugend an, und wie viele Berge und Rücken und Gipfel er schon gestiegen sei.

Ich bin ein Wanderer und ein Bergsteiger, sagte er zu seinem Herzen, ich liebe die Ebenen nicht und es scheint, ich kann nicht lange still sitzen.

Und was mir nun auch noch als Schicksal und Erlebniss komme, — ein Wandern wird darin sein und ein Bergsteigen: man erlebt endlich nur noch sich selber.

Die Zeit ist abgeflossen, wo mir noch Zufälle begegnen durften; und was könnte jetzt noch zu mir fallen, was nicht schon mein Eigen wäre!

Es kehrt nur zurück, es kommt mir endlich heim — mein eigen Selbst, und was von ihm lange in der Fremde war und zerstreut unter alle Dinge und Zufälle.

Und noch Eins weiss ich: ich stehe jetzt vor meinem letzten Gipfel und vor dem, was mir am längsten aufgespart war. Ach, meinen härtesten Weg muss ich hinan! Ach, ich begann meine einsamste Wanderung!

Wer aber meiner Art ist, der entgeht einer solchen Stunde nicht: der Stunde, die zu ihm redet „Jetzo erst gehst du deinen Weg der Grösse! Gipfel und Abgrund — das ist jetzt in Eins beschlossen!

Du gehst deinen Weg der Grösse: nun ist deine letzte Zuflucht worden, was bisher deine letzte Gefahr hiess!

Du gehst deinen Weg der Grösse: das muss nun dein bester Muth sein, dass es hinter dir keinen Weg mehr giebt!

Du gehst deinen Weg der Grösse; hier soll dir Keiner nachschleichen! Dein Fuss selber löschte hinter dir den Weg aus, und über ihm steht geschrieben: Unmöglichkeit.

Und wenn dir nunmehr alle Leitern fehlen, so musst du verstehen, noch auf deinen eigenen Kopf zu steigen: wie wolltest du anders aufwärts steigen?

Auf deinen eigenen Kopf und hinweg über dein eigenes Herz! Jetzt muss das Mildeste an dir noch zum Härtesten werden.

Wer sich stets viel geschont hat, der kränkelt zuletzt an seiner vielen Schonung. Gelobt sei, was hart macht! Ich lobe das Land nicht, wo Butter und Honig — fliesst!

Von sich absehn lernen ist nöthig, um Viel zu sehn: — diese Härte thut jedem Berge-Steigenden Noth.

Wer aber mit den Augen zudringlich ist als Erkennender, wie sollte der von allen Dingen mehr als ihre vorderen Gründe sehn!

Du aber, oh Zarathustra, wolltest aller Dinge Grund schaun und Hintergrund: so musst du schon über dich selber steigen, — hinan, hinauf, bis du auch deine Sterne noch unter dir hast!

Ja! Hinab auf mich selber sehn und noch auf meine Sterne: das erst hiesse mir mein Gipfel, das blieb mir noch zurück als mein letzter Gipfel! —“


Also sprach Zarathustra im Steigen zu sich, mit harten Sprüchlein sein Herz tröstend: denn er war wund am Herzen wie noch niemals zuvor. Und als er auf die Höhe des Bergrückens kam, siehe, da lag das andere Meer vor ihm ausgebreitet: und er stand still und schwieg lange. Die Nacht aber war kalt in dieser Höhe und klar und hellgestirnt.

Ich erkenne mein Loos, sagte er endlich mit Trauer. Wohlan! Ich bin bereit. Eben begann meine letzte Einsamkeit.