Nietzsche | N’élève plus le bras contre eux ! Ils sont innombrables et ce n’est pas ta destinée d’être un chasse-mouches

Traduction française par Henri Albert

Texte allemand | Sources

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Tout ce qui est grand se passe loin de la place publique et de la gloire : loin de la place publique et de la gloire demeurèrent de tous temps les inventeurs de valeurs nouvelles.

Fuis, mon ami, fuis dans ta solitude : je te vois meurtri par des mouches venimeuses. Fuis là-haut où souffle un vent rude et fort !

Fuis dans ta solitude ! Tu as vécu trop près des petits et des pitoyables. Fuis devant leur vengeance invisible ! Ils ne veulent que se venger de toi.

N’élève plus le bras contre eux ! Ils sont innombrables et ce n’est pas ta destinée d’être un chasse-mouches.

Innombrables sont ces petits et ces pitoyables ; et maint édifice altier fut détruit par des gouttes de pluie et des mauvaises herbes.

Tu n’es pas une pierre, mais déjà des gouttes nombreuses t’ont crevassé. Des gouttes nombreuses te fêleront et te briseront encore.

Je te vois fatigué par les mouches venimeuses, je te vois déchiré et sanglant en maint endroit ; et la fierté dédaigne même de se mettre en colère.

Elles voudraient ton sang en toute innocence, leurs âmes anémiques réclament du sang — et elles piquent en toute innocence.

Mais toi qui es profond, tu souffres trop profondément, même des petites blessures ; et avant que tu ne sois guéri, leur ver venimeux aura passé sur ta main.

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Abseits vom Markte und Ruhme begiebt sich alles Grosse: abseits vom Markte und Ruhme wohnten von je die Erfinder neuer Werthe.

Fliehe, mein Freund, in deine Einsamkeit: ich sehe dich von giftigen Fliegen zerstochen. Fliehe dorthin, wo rauhe, starke Luft weht!

Fliehe in deine Einsamkeit! Du lebtest den Kleinen und Erbärmlichen zu nahe. Fliehe vor ihrer unsichtbaren Rache! Gegen dich sind sie Nichts als Rache.

Hebe nicht mehr den Arm gegen sie! Unzählbar sind sie, und es ist nicht dein Loos, Fliegenwedel zu sein.

Unzählbar sind diese Kleinen und Erbärmlichen; und manchem stolzen Baue gereichten schon Regentropfen und Unkraut zum Untergange.

Du bist kein Stein, aber schon wurdest du hohl von vielen Tropfen. Zerbrechen und zerbersten wirst du mir noch von vielen Tropfen.

Ermüdet sehe ich dich durch giftige Fliegen, blutig geritzt sehe ich dich an hundert Stellen; und dein Stolz will nicht einmal zürnen.

Blut möchten sie von dir in aller Unschuld, Blut begehren ihre blutlosen Seelen — und sie stechen daher in aller Unschuld.

Aber, du Tiefer, du leidest zu tief auch an kleinen Wunden; und ehe du dich noch geheilt hast, kroch dir der gleiche Giftwurm über die Hand.