Nietzsche | Il faut que tu veuilles te brûler dans ta propre flamme : comment voudrais-tu te renouveler sans t’être d’abord réduit en cendres !

Traduction française par Henri Albert

Texte allemand | Sources

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« Il ne m’est pas inconnu, ce voyageur ; voilà bien des années qu’il passa par ici. Il s’appelait Zarathoustra, mais il s’est transformé.

Tu portais alors ta cendre à la montagne ; veux-tu aujourd’hui porter ton feu dans la vallée ? Ne crains-tu pas le châtiment des incendiaires ?

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Ce monde éternellement imparfait, image, et image imparfaite, d’une éternelle contradiction — une joie enivrante pour son créateur imparfait : tel me parut un jour le monde.

Ainsi moi aussi, je jetai mon illusion par delà les hommes, pareil à tous les hallucinés de l’arrière-monde. Par delà les hommes, en vérité ?

Hélas, mes frères, ce dieu que j’ai créé était œuvre faite de main humaine et folie humaine, comme sont tous les dieux.

Il n’était qu’homme, pauvre fragment d’un homme et d’un « moi » : il sortit de mes propres cendres et de mon propre brasier, ce fantôme, et vraiment, il ne me vint pas de l’au-delà !

Qu’arriva-t-il alors, mes frères ? Je me suis surmonté, moi qui souffrais, j’ai porté ma propre cendre sur la montagne, j’ai inventé pour moi une flamme plus claire. Et voici ! Le fantôme s’est éloigné de moi !

Maintenant, croire à de pareils fantômes ce serait là pour moi une souffrance et une humiliation. C’est ainsi que je parle aux hallucinés de l’arrière-monde.

Souffrances et impuissances — voilà ce qui créa les arrière-mondes, et cette courte folie du bonheur que seul connaît celui qui souffre le plus.

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Mais le plus dangereux ennemi que tu puisses rencontrer sera toujours toi-même ; c’est toi-même que tu guettes dans les cavernes et les forêts.

Solitaire, tu suis le chemin qui mène à toi-même ! Et ton chemin passe devant toi-même et devant tes sept démons ?

Tu seras hérétique envers toi-même, sorcier et devin, fou et incrédule, impie et méchant.

Il faut que tu veuilles te brûler dans ta propre flamme : comment voudrais-tu te renouveler sans t’être d’abord réduit en cendres !

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Alpa ! m’écriais-je, qui porte sa cendre vers la montagne ? Alpa ! Alpa ! qui porte sa cendre vers la montagne ?

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Nicht fremd ist mir dieser Wanderer: vor manchem Jahre gieng er hier vorbei. Zarathustra hiess er; aber er hat sich verwandelt.

Damals trugst du deine Asche zu Berge: willst du heute dein Feuer in die Thäler tragen? Fürchtest du nicht des Brandstifters Strafen?

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Diese Welt, die ewig unvollkommene, eines ewigen Widerspruches Abbild und unvollkommnes Abbild — eine trunkne Lust ihrem unvollkommnen Schöpfer: — also dünkte mich einst die Welt.

Also warf auch ich einst meinen Wahn jenseits des Menschen, gleich allen Hinterweltlern. Jenseits des Menschen in Wahrheit?

Ach, ihr Brüder, dieser Gott, den ich schuf, war Menschen-Werk und -Wahnsinn, gleich allen Göttern!

Mensch war er, und nur ein armes Stück Mensch und Ich: aus der eigenen Asche und Gluth kam es mir, dieses Gespenst, und wahrlich! Nicht kam es mir von Jenseits!

Was geschah, meine Brüder? Ich überwand mich, den Leidenden, ich trug meine eigne Asche zu Berge, eine hellere Flamme erfand ich mir. Und siehe! Da wich das Gespenst von mir!

Leiden wäre es mir jetzt und Qual dem Genesenen, solche Gespenster zu glauben: Leiden wäre es mir jetzt und Erniedrigung. Also rede ich zu den Hinterweltlern.

Leiden war’s und Unvermögen — das schuf alle Hinterwelten; und jener kurze Wahnsinn des Glücks, den nur der Leidendste erfährt.

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Aber der schlimmste Feind, dem du begegnen kannst, wirst du immer dir selber sein; du selber lauerst dir auf in Höhlen und Wäldern.

Einsamer, du gehst den Weg zu dir selber! Und an dir selber führt dein Weg vorbei und an deinen sieben Teufeln!

Ketzer wirst du dir selber sein und Hexe und Wahrsager und Narr und Zweifler und Unheiliger und Bösewicht.

Verbrennen musst du dich wollen in deiner eignen Flamme: wie wolltest du neu werden, wenn du nicht erst Asche geworden bist!

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Alpa! rief ich, wer trägt seine Asche zu Berge? Alpa! Alpa! Wer trägt seine Asche zu Berge?